Parachat Lekh-Lekha

D. dit à Abraham: va-t’en de ton pays, de ton lieu de naissance et de la maison de ton père” Beréchith (12;1).
Cette phrase, par laquelle débute notre Sidra, n’a cessé d’intriguer les commentateurs. Qui est Abraham pour que D. lui adresse la parole ?

Qui le lui demande ? D. ? Au nom de quoi ? C’est notre problème. A cette question, il existe deux types de réponse. La première est basée sur l’image que nous donne la Tradition Orale de la personnalité d’Abraham.
On nous raconte comment il a découvert D. unique par son propre raisonnement, à l’âge de trois ans selon les uns, quarante-huit ans selon les autres.
Pourquoi trois ans ? Les psychologues diraient que c’est l’âge de l’affirmation de la personnalité en conflit avec le monde extérieur. On trouve un verset dans la Sidra de Toledot Beréchit (26 ; 5) :
עקב אשר שמע אברהם בקולי וישמור משמרתי מצותי חקותי ותורתי
« En vertu du fait qu’Abraham a écouté ma voix, observe mon observance, mes mitsvots, mes statuts et mes enseignements ».
Le premier mot, Ekev, a pour valeur numérique 172. Abraham vécut 175 ans. Il a donc observé les lois 172 ans durant, soit depuis l’âge de trois ans.


Le deuxième texte du Midrach, au nom de Rabbi Berekhia, part d’un verset du Cantique des Cantiques : a’hot lanouqetana. « Nous avons une petite sœur, elle n’est pas encore formée ». Nous avons une petite sœur, dit le Midrach, désigne Abraham. Pourquoi est-il désigné par le terme a’hot ? (sœur)
Parce qu’il a raccommode D. avec le monde.
En effet, la racine signifiant « frère » et « sœur » en hébreu est à rapprocher du verbe signifiant « coudre », « raccommoder », pour insister sur la force des liens qui unissent les frères et sœurs entre eux. C’est du Montaigne avant l’heure : « En l’amitié de quoi je parle, dira Montaigne, les âmes se mêlent et confondent l’une l’autre, d’un mélange si universel, qu’elles effacent et ne retrouvent plus la « couture » qui les a jointes ». Et comme si l’image n’était pas assez claire, Bar Kappara insiste :
S’il y a reprisage, raccommodage, c’est qu’il y avait eu une déchirure auparavant :
כזה שהוא מאחה את הקרע
La déchirure désigne les déceptions successives éprouvées par D. au sujet du monde, durant les dix générations menant d’Adam à Noé, puis de Noé à Abraham. Le terme de « recoudre » ou ne pas recoudre la déchirure, nous les retrouvons dans le Choul’han Aroukh à propos des lois sur le deuil, et c’est bien l’idée exprimée par certains midrachim à propos du verset Beréchit (7 ; 10) : vayehi lechivat hayamim, oume hamaboul hayou al haaret : « au bout de sept jours, D. déclencha le déluge sur le monde ».
Que désignent ces sept jours supplémentaires (après les cent vingt ans de délai) ? Ce sont les sept jours de deuil que D. a observés sur le monde qu’il s’apprêtait à détruire.
C’est donc à Abraham qu’incombe la tache de sortir D. de son deuil, de le raccommoder avec le monde et de lui redonner confiance en l’homme.

Pourquoi ne trouve-t-on pas au début de la Sidra, l’équivalent de ce que la Torah dit au sujet de Noé : « Noa’h ich tzadiq, tamimhaya bedorotav ». Noé était un homme juste, intègre, dans sa génération » ?
C’est pourquoi il existe une deuxième thèse, opposée à la première, qui proclame que - au moins dans un premier temps- l’élection d’Abraham a été totalement arbitraire, de même que le sera plus tard celle d’Israël. (C’est ce que le Maharal de Prague explique dans Netsa’h Israel chap 11). Il existe une différence fondamentale entre Israël et les Nations en ce qui concerne leurs relations avec D. Au sujet d’Israël, il est écrit : « Je serai votre D. et il sera mon peuple » tandis qu’au sujet des Nations il est écrit : « vous serez mon peuple et je serai votre D. » L’élection d’Israël par D. est quelque chose d’essentiel, puisque le mouvement part de D. et n’a pas de fin ; il est totalement indépendant de l’attitude d’Israël vis-à-vis de D. Tandis que le choix par D. de tel ou tel peuple est variable, puisque le mouvement part du peuple en question ; l’élection dure le temps que durent les « bonnes dispositions » de ce peuple vis-à-vis de D…
C’est la raison pour laquelle, conclut le Maharal, la Torah n’a pas commencé par nous exposer les mérites d’Abraham, pour que tu ne crois pas qu’Abraham et sa prospérité ont été choisis à cause de mérites personnels. Ce choix de D. est arbitraire et c’est pourquoi il ne dépend pas de la conduite d’Abraham vis-à-vis de D. Dans cette optique, les dix épreuves imposées par D. à Abraham seront là pour justifier à posteriori le choix de D., pour « fermer la bouche du Satan », comme l’écrit Rachi dans son commentaire sur la Aqeda.
Source : Rabbin Alain Weil, Petites lumières pour le Chabbat

L’alliance entre les morceaux (Beréchith 15) à laquelle D. convie Avraham n’est, d’après l’ensemble des commentateurs, que la préfiguration de l’histoire du peuple juif. La génisse, la chèvre et le bélier qu’Avraham découpe en leur milieu correspondent aux grands empires qui s’attaqueront tour à tour à la Communauté d’Israël et qui s’effondreront les uns après les autres. « Et l’oiseau, il ne le fendit point. »


Cependant, D. a voulu assurer à Son peuple un autre avantage en concluant cette Alliance avec Avraham. Orienter l’histoire d’un peuple qui ne représentera, selon les valeurs des Nations, qu’une minorité numérique quasi dérisoire, c’est assurer d’emblée une objectivité totale, un caractère de vérité absolue au message que ce Peuple apportera à l’humanité. Si les nations, soucieuses de préserver leur influence et leur position de force, font fi de tout souci de vérité ou de justice pour ne chercher à préserver que leurs intérêts propres, certaines autorités spirituelles en font tout autant. Voulant conserver, par opportunisme politique, leur influence dans telle ou telle partie du monde, elles ont couvert, par leur silence complice, les crimes les plus atroces perpétrés contre l’humanité. Le peuple juif, « le moins nombreux parmi les peuples » s’est dégagé de ces contingences ; la voix qu’il peut élever pour faire entendre la Vérité est une voix pure. C’est cette voix décisive que l’Humanité, cherchant au fond d’elle-même cette Vérité, attend pour trouver son chemin. Au temps de la rédemption, lorsque cette Vérité sera révélée aux yeux de tous, Israël pourra alors devenir « nombreux comme les étoiles du Ciel »
Source : Imrei Cohen- Rav Guerchon nous parle