Rabbi Chlomo Eliezer Alfandari - Le Saba Kadicha
Rabbi Chlomo Eliezer Alfandari zatsal, connu sous le nom de "Saba Kadicha" (le Saint Grand-père), fut l'une des figures rabbiniques les plus éminentes et vénérées de la fin du 19ᵉ et du début du 20ᵉ siècle. Sa vie s'étend sur une période de profonds bouleversements pour le judaïsme et le Moyen-Orient. De l'Empire ottoman à la Palestine mandataire, il a incarné la résistance de la tradition orthodoxe face aux défis de la modernité. Son intransigeance et son érudition ont fait de lui une figure controversée de son vivant, mais aussi un symbole durable de la continuité de la tradition juive dans un monde en mutation.
Rabbi Chlomo Eliezer Alfandari, un jeune prodige
Né vers 1820 à Constantinople, alors capitale de l'Empire ottoman (aujourd’hui Istanbul), dans une famille de Rabbanim renommés, le jeune Chlomo Eliezer fut très tôt orphelin de père. Sa mère, issue, elle aussi, d’une maison illustre, était une femme érudite versée dans la Torah, le Talmud et la Halakha. C’est elle qui prit en charge son éducation initiale, posant ainsi les bases de sa future grandeur spirituelle.
Dès sa jeunesse, Chlomo Eliezer manifesta une piété et une sagesse exceptionnelles, se distinguant par sa compréhension exceptionnelle des textes sacrés et sa mémoire prodigieuse. Encore jeune homme, il fut nommé au Conseil Spirituel (Vaad Harou’hani), une distinction remarquable pour son âge. À cette époque, il entretenait déjà une correspondance halakhique avec deux des plus grandes autorités rabbiniques de sa génération : Rabbi Akiva Eiger et Rabbi Moché Sofer, plus connu sous le nom de "’Hatam Sofer".
L’humilité du Saba Kadicha
Malgré sa renommée grandissante, Rabbi Chlomo Eliezer Alfanderi refusa constamment les postes rabbiniques officiels, préférant se consacrer entièrement à l'étude de la Torah. Son humilité était telle qu'il rejetait même le titre de Rabbin, et refusait de porter les vêtements traditionnels des érudits de la Torah, préférant s'habiller et se considérant comme un simple juif. Cette attitude reflétait sa profonde conviction que la véritable grandeur réside dans l'étude désintéressée de la Torah et non dans les honneurs. Lorsque les Juifs de Constantinople le supplièrent d'accepter le poste de Grand Rabbin de la ville, il déclina poliment, recommandant à sa place l'un de ses étudiants, Rabbi Yitz’hak Akarich. Cette décision illustre non seulement son humilité, mais aussi sa sagesse dans la formation de la prochaine génération de Rabbins.
Rabbi Chlomo Eliezer Alfandari : un maître d'exception
Bien qu'il refusât les postes officiels, Rabbi Alfandari ne négligea pas son rôle d'enseignant. Les Juifs d'Istanbul, reconnaissant sa grandeur, fondèrent une yéchiva spécialement pour lui. Rabbi Chlomo Eliezer Alfandari a eu un impact significatif sur de nombreux étudiants tout au long de sa longue carrière d'enseignant et de Rabbin.
Parmi ses élèves les plus distingués figurait Rav ‘Haim ‘Hizkiyahou Médini, qui devint plus tard Grand Rabbin de Hébron, auteur de l'encyclopédique "Sdei ‘Hémed". Cette œuvre, qui compile et analyse de vastes quantités de littérature rabbinique, est encore largement étudiée et citée aujourd'hui.
Pendant son mandat en tant que Grand Rabbin de Damas aussi, Alfandari a formé de nombreux étudiants qui sont ensuite devenus des rabbins et des juges rabbiniques (Dayanim) influents dans les communautés séfarades de la région. L'héritage d'Alfandari se perpétue ainsi non seulement à travers ses enseignements directs, mais aussi par l'exemple qu'il a donné d'une vie consacrée à l'étude et à la stricte observance de la loi juive. Son influence a contribué à façonner le judaïsme orthodoxe séfarade moderne, en particulier dans son approche rigoureuse de l'interprétation de la halakha.
Rabbi Alfandari, Grand Rabbin de Damas
Ce n'est qu'à un âge avancé, que nommé par décret impérial ottoman, Rabbi Alfandari accepta finalement un poste officiel, devenant le ‘Hakham Bachi (Grand Rabbin) de Damas, en 1897. Il y fonda une yéchiva qui devint un centre important de formation pour les futurs Rabbins et juges rabbiniques (dayanim) des communautés séfarades de la région.
Pendant sept ans, il guida la communauté avec sagesse et compassion, renforçant le judaïsme dans cette ville ancienne. Cependant, son mandat à Damas ne fut pas sans difficultés. Alfandari, profondément ancré dans la tradition, se trouva en décalage avec une communauté de plus en plus influencée par la modernité. Son incapacité à communiquer en arabe ou en turc ottoman compliqua ses relations avec les autorités locales. Ces tensions culminèrent après la Révolution des Jeunes-Turcs, lorsque la communauté juive de Damas demanda et obtint son renvoi.
Cette période de sa vie fut également marquée par des tragédies personnelles. Il perdit son fils unique à un jeune âge, suivi peu après par le décès de son épouse. Ces épreuves semblent avoir renforcé sa dévotion religieuse et son ascétisme, car il choisit de ne jamais se remarier. On raconte toutefois qu’il accueillit des enfants orphelins et les prit en charge dans sa maison.
L'Alyah de Saba Kadicha
Aux alentours de 1907, à près de 90 ans, Rabbi Alfandari démissionna de son poste à Damas et réalisa son rêve de faire son alyah. Il s'installa d'abord à Haïfa, où il put étudier sans interruption pendant plusieurs années. Dès lors, il décida de ne plus quitter Erets Israel… Lorsque les sages de Safed apprirent son arrivée en Israël, ils l'invitèrent à devenir le juge rabbinique en chef de leur ville. Malgré son âge avancé, Rabbi Alfandari accepta ce rôle, inaugurant une nouvelle période de sa vie. Durant plus d’une décennie, il servit la communauté de Safed avec une vigueur et une acuité d'esprit qui étonnaient tous ceux qui le rencontraient. C'est à cette époque qu'il reçut le surnom affectueux de "Saba Kadicha" (le Saint Grand-père), un titre qui reflétait à la fois son grand âge et sa sainteté exceptionnelle. Rabbi Alfandari vécut aussi quelques années à Tibériade, où l’on raconte que Rabbi Israël Ber Odesser, un ‘hassid de Breslev, devint son assistant personnel. Une nuit, après avoir vu Odesser réciter le Tikoun ‘Hatzot (prière de minuit), le Saba Kadicha fut tellement impressionné qu'il refusa de le laisser continuer à le servir, le traitant désormais comme un jeune collègue. Cet incident montre l'importance qu'il accordait à la dévotion sincère dans la prière et son incroyable intuition pour reconnaître de vrais Tsadikim.
Saba Kadicha, qui aimait tant Erets Israel, était pourtant contre l’idée d’un État hébreu. Il s'opposa fermement au mouvement sioniste et au Conseil National Juif en Palestine mandataire, considérant que l'établissement d'un État juif avant l'avènement de l'ère messianique était contraire à la volonté divine. Par ailleurs, il était aussi contre le "heter mekhira" : Il jugeait cette disposition rabbinique permettant aux agriculteurs juifs de contourner les lois de la chmita (année sabbatique), comme un compromis inacceptable avec la halakha. Contre toute idée de modernisation religieuse, il était, de ce fait, souvent en conflit avec d'autres grands Rabbins de son époque, notamment le Rav Kook.
Les dernières années de Saba Kadicha
Les dernières années de la vie de Rabbi Alfandari furent marquées par un rayonnement spirituel intense. En 1925, alors âgé de 105 ans, il tomba gravement malade à Tibériade. Fidèle à ses principes, il refusa d'être soigné dans un hôpital où les lois de la tsniout (code vestimentaire religieux) n'étaient pas scrupuleusement observées. Il fut donc transféré à l'hôpital Chaarei Tsedek de Jérusalem.
De manière générale, le Saba Kadicha était pour une stricte observance des mitsvot, et contre toute modernisation des pratiques religieuses, allant jusqu'à interdire le rasage de la barbe, même avec des méthodes permises par la loi juive traditionnelle. Après son rétablissement, cédant aux supplications des sages de Jérusalem, il s'installa dans la Ville Sainte, dans le quartier de Mekor Baroukh, dans une rue qui porte aujourd’hui son nom. Malgré son âge avancé, son esprit restait vif et sa vision claire - il n'avait même pas besoin de lunettes !
Durant cette période, le Saba Kadicha devint un aimant pour les érudits et les chercheurs spirituels. De nombreux grands Rabbins venaient le consulter et discuter de Torah avec lui. Parmi eux, on peut citer Rabbi Tzvi Pessa'h Frank, Grand Rabbin de Jérusalem, Rabbi Velvel Mintzberg, leader de la communauté ashkénaze du Vieux Yichouv, et Rabbi Avraham Weinberg de Slonim, auteur du "Birkat Avraham" et même le saint Baba Salé zal. Le Rabbin ‘Haïm Elazar Chapira, de Hongrie, fit lui aussi le voyage, pour une rencontre historique entre deux mondes, le génie séfarade du Moyen-Orient et le maître de la tradition hassidique d'Europe de l'Est.
Même dans ses dernières années, alors qu'il avait plus de 100 ans, Rabbi Alfandari étudiait la Torah sans relâche. Il avait l'habitude de prendre des notes sur tout ce qu'il étudiait, que ce soit des responsa halakhiques, ou des commentaires sur divers sujets. Ces notes, conservées dans des cahiers, témoignent de sa diligence et de son engagement inébranlable envers l'étude de la Torah. Bien qu'il n'ait pas laissé d'œuvres publiées de son vivant, ses responsa (réponses à des questions de loi juive) ont été rassemblées et publiées à titre posthume sous le titre "Saba Kadicha".
L’héritage spirituel de Saba Kadicha
Le matin de son décès, le 22 Iyar 5690 (20 mai 1930), Rabbi Alfandari demanda à ses disciples de l'envelopper dans son talit et de lui mettre ses deux paires de tefillin, sur le bras et sur la tête, selon la coutume des ‘Hakhamim séfarades. Il récita la prière du Chéma et, arrivé au mot "émet" (vérité), fit signe à ses disciples de retirer ses tefillin. Ses dernières paroles furent : "Assez, assez. L'essentiel est émet (la vérité). Je ne peux plus continuer...". Jusqu'à son dernier souffle, il n’eut que des mots de sagesse à la bouche.
La vie du Saba Kadicha, Rabbi Chlomo Eliezer Alfandari, reste un exemple lumineux de dévotion à la Torah, d'humilité et de sainteté. Il laisse derrière lui un riche héritage d'enseignements et ses psakot continuent d'être étudiés et vénérés dans le monde de la Torah. Son parcours, de jeune prodige à Istanbul à vénérable sage à Jérusalem, inspire encore aujourd'hui ceux qui cherchent à vivre une vie de Torah authentique et profonde. Le Rébbe de Munkacz aurait déclaré, au nom du Baal Chem Tov, que dans chaque génération, il y a un leader de la Torah qui est Machia'h ben Yossef, et que Rabbi Alfandari était celui de sa génération.
Puisse son mérite protéger le peuple d'Israël, Amen.
Tsidkat-Eliaou marquera ce jour par une journée d’étude au Kollel Chaaré Nissim situé dans la synagogue Baba Salé - Chaaré Nissim de Jérusalem.
À l'occasion de la Hiloula de ce grand Tsadik, Tsidkat-Eliaou vous invite à allumer une veilleuse, à sa sainte mémoire, à lire quelques psaumes de Téhilim (si possible ) et à prier pour le Am Israël !
Puis, récitez la formule ci-après :
Zékhouto taguen alénou véal kol Israël, Amen.
Le Tsadik priera pour vous.
Vous pouvez également associer vos prières à la noble et grande mitsva de la Tsédaka et nos Rabbanim vous bénirons dans la synagogue Baba Salé - Chaaré Nissim de Jérusalem.
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Paru au Journal Officiel du 01/1990
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